Chapitre 2 - Tears



Les larmes de Shouryu

Shouryu avait fait le déplacement jusqu’au palais de Youko car la culpabilité rongeait son esprit depuis le retour de son kirin. Il tenait à dire lui-même à l’impératrice qu’un fléau inconnu avait détruit son ancien monde et aspiré la vie de son bien-aimé. L’état de Rokuta s’était stabilisé mais il était trop tôt pour dire s’il s’en sortirait. En-ou savait ce que cela signifiait : il ne survivrait pas à la mort de son kirin et son royaume subirait le même sort qu’Horai. Pour la première fois depuis près de 600 ans, il se remémorait le massacre de son clan. Maintenant c’était le tour d’Horai et ensuite viendrait peut être celui de son royaume. Depuis des centaines d’années il s’était refusé toute sorte de sentimentalité car le devoir passait avant tout le reste. Il savait qu’en s’attachant il risquait de devenir hésitant ou faible et qu’il ne pouvait se le permettre. Pour lui, les larmes symbolisaient l’apitoiement sur soi ou une faiblesse de l’esprit bien plus que le chagrin.

Ses dernières larmes, il les avait versées sur cette barque 600 ans plus tôt mais il ignorait alors si elles étaient dues à ses membres qui le faisaient atrocement souffrir ou à la scène à laquelle il venait d’assister : son peuple avait été décimé sous ses yeux. Son propre corps était transpercé de flèches et il pensait que la mort était bien cruelle de le faire ainsi languir. C’est alors que le jeune homme se prosterna, le conduisit au Mont Hou et le sauva. Et c’est pour cette raison qu’il avait fait transporter Rokuta au-delà de la Mer Jaune. Il avait remis la vie de son kirin entre les mains de Sennins et des dieux.
Ses yeux commencèrent à picoter et une énorme perle roula sur sa joue bientôt suivie par une deuxième, puis une troisième. « Baka, pourquoi tu me laisses tout seul comme une nouille ? » Le temps avait tissé un lien très fort entre cet homme et son animal sacré et il ne faisait aucun doute que chaque séparation était une épreuve. Il fallait qu’il reprenne ses esprits car le palais de Kinpakyuu était en vue et il ne s’autorisait pas à flancher une seconde fois, surtout devant Youko.


Les larmes de Youko

Il ne lui annonça que ce qu’elle savait déjà. L’épée lui avait tout dit. Elle avait vu Rakushun devant la Tour de Tokyo ainsi que le nuage noir qui avait dévasté la capitale nippone. Elle avait également pu entre percevoir la fuite de Rokuta et il était seul.
« Rakushun » murmura-t-elle, le visage baigné de larmes.

Elle repensait alors à leur première rencontre et à toutes ces années durant lesquelles elle avait dû se battre contre Keiki et le protocole. L’union entre un humain et un hanjyuu était inconcevable mais son principal adversaire dans ce combat fut Rakushun lui-même. Il s’était d’abord senti très gêné par l’accueil chaleureux d’Enki et En-ou . Ce dernier lui avait accordé l’immortalité en jurant bien que Youko n’avait rien à voir là-dedans .Il avait prétexté que son kirin l’appréciait beaucoup et aimait voyager en sa compagnie. Soi-disant, il ne voulait pas que Rokuta déprime plus tard lorsque Rakushun aurait atteint un âge trop avancé pour l’accompagner. Il y avait une part de vrai dans tout cela mais En-ou était tout de même un sacré menteur. Youko avait voulu lui offrir la vie éternelle mais il avait toujours refusé et elle avait fini par demander de l’aide à Shouryu. Il lui avait fallu ensuite un demi-siècle pour convaincre son bien aimé qu’apparence et rang ne pèsent pas bien lourd face aux élans du cœur.
« 50 ans de bonheur, c’est bien peu lorsqu’on est immortelle … »
« 600 ans de règne sans partage, c’est très long »
Elle ne l’avait pas entendu arriver et pourtant il était là, devant elle et elle comprit immédiatement qu’il avait pleuré. Elle savait qu’il ne verserait aucune larme en sa présence et qu’il avait certainement dû s’isoler pour s’accorder cette faiblesse.
« Comment va Enki ? »
« Pas très bien. »
« Tu savais ce qui se passerait n’est ce pas ? Et pourtant tu les as laissés partir. Tu aurais au moins pu les mettre en garde ! Mettre ainsi la vie de ton propre kirin en jeu ! »
« Ma vision n’était pas très claire ! La tienne non plus d’ailleurs. J’aurais dû empêcher Rakushun d’y aller c’est vrai. Mais Enki se serait méfié. Et ça aurait fait capoter sa mission ... »
« Sa mission ! Parlons-en un peu de sa mission ! De toute façon il a échoué … ça aussi tu l’avais vu ? »
« Youko, assieds-toi et écoute moi. C’est UN ORDRE ! Ne m’étant jamais attaché à aucune femme, je suis peut être mal placé pour te conseiller, voire te comprendre, mais en tant que meikun je me vois obligé de te rappeler certains principes ! Nous ne sommes là que pour accomplir la volonté du Ciel et c’est un dieu qui a envoyé Enki à Horai en connaissance de cause … Pardonne moi si je suis un peu brusque avec toi mais ... »
Il la prit alors dans ses bras dans lesquels elle put enfin pleurer sans honte.


Larmes divines

Il fallait commencer par nettoyer le front de Rokuta. Il était couvert de sang et cela ne présageait rien de bon. La fièvre était un peu retombée.
« J’espère que sa corne n’a pas été endommagée. Sa crinière a beaucoup souffert. Il va falloir attendre qu’elle repousse … j’ai été fou de l’envoyer là-bas et pourtant … »
Il laissa s’échapper une larme qui termina sa glissade sur la paupière droite d’Enki. Ce dernier ouvrit un œil.
« Rokuta ? Comment te sens-tu ? »
« Ouch, je ne peux plus bouger. J’ai l’impression d’avoir été piétiné par une centaine de youmas. Ouch… »
« Ne t’inquiète pas, la douleur disparaîtra dans quelques jours. Je suis soulagé de voir que tu vas bien. Pardonne-moi si je suis un peu abrupt mais que sont devenus les autres ? Tu étais seul lorsqu’on t’a secouru. Et Elle, l’as-tu trouvée ? »
« De quoi tu parles Kouya ? Je te trouve bizarre. Et puis c’est quoi cet accoutrement ? Si tu parles de mon pervers de maître, je suppose qu’il doit être en train de faire le ménage dans un bordel afin de payer ses dettes. Et pendant que monsieur prend du bon temps, je me tape tout son boulot … Fichu Tentai, pourquoi m’a-t-il envoyé un tel incapable ? »
« Tu devrais te reposer un peu. Tu as subi un grand choc et ta corne a été blessée. Attends qu’elle guérisse et que tes cheveux repoussent et tu retrouveras la mémoire. »
L’homme se leva et prit congé du kirin.
« Qu’est-ce que tout cela signifie Shinkun ? »
« Que notre monde touche peut être à sa fin. Mais nous en saurons davantage lorsque ses souvenirs referont surface. En attendant, je vous le confie. Je dois quitter le Palais car mon Tenken se fait vieux et ne supporte pas d’être seul trop longtemps ...De plus à l’extérieur c’est assez instable, on dit qu’il y a eu plusieurs shokus en même temps. Je dois regagner la Mer Jaune au plus vite … »

Les larmes d’Eileen

Elle reprit connaissance et poussa un hurlement. Ses amis avaient disparu et sa main était prisonnière d’une chose velue. C’était une énorme souris dont la robe grise était maculée de sang. Elle finit par se dégager et s’éloigna au pas de course. Mais la chute l’avait affaiblie et elle s’écroula, à bout de force. Elle leva alors les yeux et aperçut ce qui ressemblait à un océan. Mais la couleur de l’eau mit un terme à ses illusions ... Elle avait désobéi à son père en allant au Japon et ceci était certainement sa punition. Il était trop tard pour regretter et ses larmes se noyèrent dans la Mer du Néant.


À suivre